L'histoire de la carte de Noël

Elle est souvent scintillante, double ou en forme de mignonette. Elle dépeint un splendide paysage d'hiver tout droit sorti d'un rêve, le Père Noël, des anges venus du ciel, une scène de nativité, un sapin illuminé ou des animaux des bois... Un peu partout dans le monde elle a été incontournable dans les familles durant près de 150 ans. Et, même si aujourd'hui certains semblent avoir oublié son existence, elle n'a pas dit son dernier mot ! J'ai nommé... la carte de Noël !
Quand la toute première carte de Noël a-t-elle été envoyée ?
Nous sommes en 1979… l’écrivain Adam McLean découvre aux Archives Nationales d’Ecosse, une carte envoyée en 1611 par le physicien et alchimiste allemand Michael Maier (également conseillé de l’Empereur Rodolphe II à Prague) au roi James I (roi d’Ecosse, d’Angleterre et d’Irlande) ainsi qu’à son fils, le prince de Galles Henry Frederick. Cette carte emprunte à l’imagerie de la Rose-Croix, une doctrine ésotérique chrétienne allemande du 17ème siècle, sorte de société secrète ancêtre de la Franc-Maçonnerie, créée par des théologiens, médecins et philosophes. Ce mouvement, destiné aux gouvernements et savants d’Europe, vise à relever la sagesse de ces derniers. Sur la carte, les mots étaient disposés afin de former une rose.
Le message disait :
"A greeting on the birthday of the Sacred King, to the most worshipful and energetic lord and most eminent James, King of Great Britain and Ireland, and Defender of the true faith, with a gesture of joyful celebration of the Birthday of the Lord, in most joy and fortune, we enter into the new auspicious year 1612"

"De bons vœux à l'occasion de l'anniversaire du Roi Sacré, au seigneur le plus vénérable et énergique et au plus éminent James, roi de Grande-Bretagne et d'Irlande, et défenseur de la vraie foi, un geste de célébration joyeuse en l’honneur de l'anniversaire du Seigneur, avec grande joie et bonne fortune, nous entrons de bon augure dans la nouvelle année 1612."

Cette carte serait la toute première carte de vœux de Noël, reconnue comme telle, de l’histoire. On est toutefois assez loin de la carte de Noël telle qu’on la connaît aujourd’hui qui, quant à elle, prend ses sources dans l’Angleterre de la fin du 19ème siècle.
Naissance de la carte de Noël Victorienne
Sous l'ère victorienne, Sir Henry Cole (1808-1882), haut fonctionnaire britannique, innove énormément, notamment dans le domaine de l’éducation et celui du commerce (il est en outre, sous le pseudonyme de Felix Summerly, inventeur et également auteur de livres pour enfants). En 1843, il a l'idée d'envoyer ses bons vœux de Noël à ses proches sous la forme d'une image. Il souhaite également commercialiser ce nouveau concept. Un de ses amis, John Callcott Horsley (1817-1903) est artiste peintre et illustrateur, il lui commande alors une carte illustrée. Horsley prévoit tout, y compris une enveloppe prépayée, ancêtre du timbre-poste. Dans son journal, en date du 17 décembre 1843, Cole écrit :

In the Evening Horsley came and brought his design for Christmas Cards.”
John Callcott Horsley


La carte de vœux est née !

Sur cette carte, on peut voir trois générations d'une même famille porter un toast. De part et d’autre de l'image centrale, sont représentées des scènes de charité : des vêtements et de la nourriture offerts aux pauvres gens.
A l'époque, la carte avait fait grand bruit car on y voyait un jeune enfant boire du vin !

2050 cartes sont éditées et vendues au prix de 1 shilling pièce.
Le concept traverse rapidement l'Atlantique, mais il faut attendre encore quelques années pour qu'un éditeur américain s'intéresse véritablement à la carte de vœux, la guerre de Sécession (1861-1865) ayant ralenti le développement technologique dans le domaine de l'imprimerie.

En 1850, Louis Prang, un immigré d’Europe centrale (né en Silésie prussienne, une ancienne province du Royaume de Prusse), s'installe aux Etats-Unis à Boston. Il devient éditeur et lithographe et fonde la société Prang & Mayer, connue de tous les citoyens américains pour ses cartes publiées dans les journaux durant la guerre de Sécession. Prang a tout appris de la gravure et des systèmes d’impression, d’abord enfant comme apprenti pour son père (qui travaillait dans l’impression sur textile) puis en Europe à Vienne dans les années 1860 lors d’un séjour professionnel afin d’apprendre la chromolithographie (impression lithographique en couleur). Prang crée toute une série de cartes de Noël pour le marché anglais en 1873.

Louis Prang

Aux Etats-Unis, Noël devient un jour férié officiel en 1870 et les services postaux sont largement développés avec l’avènement du système ferroviaire. Toutes les conditions sont donc réunies pour que le concept de la carte de vœux prenne son envol sur le sol américain. En 1874, Prang décide donc de commercialiser ses cartes dans son pays.

A cette époque, les cartes ne sont pas religieuses, mais plutôt humoristiques ou bien sentimentales et représentent principalement des enfants et des animaux ainsi que des décorations et des paysages de neige. Elles mettent également en avant les écrits des poètes de l’époque, comme les vers de Henry Wadsworth Longfellow. Certaines des cartes de Louis Prang, de véritables œuvres d’art, se vendent jusqu’à 25 $ et les gens les offrent en cadeau de Noël !



Une dizaine d'années plus tard, Prang peut se targuer de commercialiser près de 5 millions de cartes par an ! Son succès fait des envieux et il est rapidement rattrapé par de nombreux imitateurs qui vendent des contrefaçons de nettement moins bonne qualité et à prix extrêmement modique. Petit à petit, avec l'évolution technologique, la carte postale prend le relais et la carte victorienne plus élaborée dans sa création et sa fabrication, disparaît peu à peu. Un siècle plus tard, les services postaux américains reconnaissent Louis Prang comme le pionnier de la carte de Noël américaine.

La production de cartes de Noël devient par la suite un business extrêmement rentable. Parmi les éditeurs les plus connus, citons par exemple Hallmark Cards (aux USA), société créée en 1913 par les frères Joyce et Rollie Hall qui produisaient eux-mêmes leurs cartes et dont le succès a été décuplé durant les deux guerres mondiales (on envoyait des cartes aux soldats sur le front).

L’imagerie victorienne redevient populaire à la fin du 20ème siècle/début 21ème. Laura Seddon de la Manchester Metropolitan University, rassemble aujourd’hui pas moins de 32 000 cartes de vœux victoriennes et édouardiennes dans une vaste collection regroupant notamment tous les principaux éditeurs de l’époque et la toute première carte commercialisée en Grande-Bretagne.
En décembre 2005, l’une des cartes originales de Horsley s’est vendue à près de 9 000 £. Et le record du monde de la carte la plus chère jamais vendue est aujourd'hui détenue par la carte commandée en 1843 par Sir Henry Cole... un enchérisseur anonyme l'a achetée aux enchères en 2001 pour la modique somme de 22 250 £ ! Cette carte, est signée par son créateur. En lieu et place de son nom, il s'est dessiné et a ajouté "XMasse. 1843".
Et en France ?
En France, la tradition de la carte de vœux se développe un peu plus tardivement, même si les premières cartes arrivent dès le début du 20ème siècle. En effet, les premiers jours de janvier, il est de coutume d’aller présenter ses vœux en personne aux différents membres de sa famille, ses amis, ses collègues de travail, ses voisins, aux malades dans les hôpitaux… un exercice un peu fastidieux et contraignant qui s’avère rapidement être parfois une véritable corvée tant il est chronophage (admettons tout de même que cela représente beaucoup de monde à visiter !). Alors, pour donner le change sans paraître désobligeant, on envoie une carte de visite (ou on la laisse à la concierge !) avec un petit mot sympathique de bons vœux pour l’année à venir.

Durant la première guerre mondiale, on remplace la carte de visite austère par une carte colorée et patriotique mettant en scène des poilus victorieux. Puis les années 1920 connaissent des montages de photographes mêlant des enfants ou des jeunes femmes devant des scènes hivernales en toiles peintes. Le résultat semble aujourd’hui nettement plus désuet que ne pourraient l’être des dessins… d’autant plus que les photographies noir et blanc sont post-traitées et colorisées (le résultat est souvent « jaune rosé »).

Dans les années 1930 arrivent les symboles de prospérité représentés par du gui, un trèfle porte-bonheur, un fer à cheval, une colombe de la paix, des enfants et des animaux… avec parfois des jeunes femmes (de jolies pin-up vêtues) portant des bouquets fleuris et les chiffres de la nouvelle année en lettres d’or. Peu à peu, la carte de vœux telle qu’on la connaît aujourd’hui, s’impose, très colorée et avec des paysages et des motifs amusants, traditionnels ou originaux.
Notez qu'encore aujourd'hui en France, même si la carte purement dite "de Noël" a toujours été présente, les français envoient bien plus volontiers une carte pour présenter leurs voeux pour la nouvelle année qu'une carte de Noël.
Le rouge-gorge, messager porteur d'amour
Le rouge-gorge est intimement lié à la saison d'hiver et plus particulièrement à Noël. De nombreuses légendes chrétiennes lui sont en outre dédiées. En hiver, cet adorable, splendide et fascinant petit oiseau se rapproche des maisons et des jardins afin de trouver de la nourriture, si rare à la saison froide. Le rouge-gorge est donc d'une certaine façon proche de nous. Mais toutes ces raisons sont-elles suffisantes pour expliquer sa présence sur les cartes de Noël ? Oui et non. Oui car, en tout état de cause, l'hiver, sa proximité des Hommes et toutes les belles histoires qu'on raconte à son sujet devraient suffire à faire de lui un symbole fort des fêtes de fin d'année. Non car... l'histoire ne s'arrête pas là !
Durant l'époque victorienne en Angleterre, les postiers portaient en guise d'uniforme une redingote rouge, couleur de la royauté. Pour cette raison, ils étaient affectueusement surnommés les "robin" (ou en français rouge-gorge). Par conséquent, afin de rendre hommage à ces gentils messagers, certaines des premières cartes de Noël représentaient un rouge-gorge livrant une carte de voeux dans son bec ou encore portant une sacoche acrochée à ses ailes et pleine de lettres et de cartes de Noël. La tradition est restée (ci-dessous une carte anglaise des années 30 et une carte française plus tardive).
Internet a-t-il vraiment tué la carte de Noël ?
Partout dans le monde la révolution Internet a par la suite marqué de son empreinte l’histoire de la carte de Noël, la faisant disparaître au profit des vœux dématérialisés. Toutefois, la carte de vœux fait aujourd’hui de la résistance, d’une part car l’engouement pour les loisirs créatifs laisse le champ libre à toutes les envies et les fantaisies et que désormais les gens aiment créer eux-mêmes les cartes de vœux qu’ils enverront aux êtres chers ; d’autre part car les sites de créations de cartes personnalisables se multiplient sur la toile et permettent là encore de créer et faire imprimer à moindre coût des cartes à son goût, mettant en vedette des photos familiales personnelles et de très bons souvenirs à partager avec ses proches. Par ailleurs, pour les résistants n’ayant aucun savoir-faire ni don artistique, on trouve désormais dans les papèteries et librairies dignes de ce nom, des cartes de vœux particulièrement sophistiquées et soignées (mais assez cher disons-le), en relief ou faisant de la musique. Reste également l’alternative de faire une pierre deux coups et de se tourner vers la Croix-Rouge, Handicape International ou l’UNICEF (pour ne citer que les principales organisations) qui vendent un peu partout et à prix modique des packs de très jolies cartes dont les bénéfices des ventes servent une cause de bienfaisance.
La carte de Noël a encore de bien beaux jours devant elle !…


En complément :
  • Sous le Saint-Empire romain germanique, l'Empereur Rodolphe II avait d'autres conseillés scientifiques, dont notamment Johannes Matthaeus Wacker von Wackenfels, ami du mathématicien Johannes Kepler à qui Bertrand Santini et Laurent Gapaillard ont dédié un conte d'hiver, Le Flocon.
  • Louis Prang & Company Chromolithographs (Boston Public Library)


  • Sources :
  • Victoria & Albert Museum
  • My Merry Christmas
  • Archive.org
  • Smithsonian Magazine
  • British Library
  • London Walking Tours
  • American Antiquarian
  • Happy Ali
  • Merci Facteur
  • Archives Nationales de France
  • Lusile
  • Patrick Serou
  • Wikipedia .com et .fr


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