Un Chant de Noël - Une histoire de fantômes de José-Luis Munuera (2022)

Le 23 décembre, en me baladant dans une librairie, je suis tombée sur une libre adaptation du Chant de Noël de Charles Dickens (je précise que je ne suis pas assez folle pour faire les boutiques un 23 décembre, je passais juste un agréable moment au milieu de livres en attendant l’heure de ma séance ciné), parue chez Dargaud en novembre 2022 :
Ma passion pour Dickens ne connaissant aucune limite, je me suis simplement jetée dessus sans me poser de questions. J’ignorais tout de cette bande-dessinée, j’ignorais de quoi il retournait et ne savais même pas qu’elle devait paraître (oui, je vous concède que je fais une piètre fan de Dickens si je ne me tiens pas au courant des sorties le concernant). Mais tant mieux car cela m’a permis de découvrir l’ouvrage sans aucun à priori. Et le moins que je puisse dire c’est que j’ai été surprise.

On doit ce roman graphique à José-Luis Munuera (scénario et dessin) et Seydias (pour les couleurs). Pour être tout à fait honnête avec vous, j’ai mis quelques heures avant de comprendre que j’avais adoré ma lecture car en refermant le livre, j’étais tellement déstabilisée que j’avais arrêté de penser. Je ne sais toujours pas d’ailleurs si on peut vraiment parler d’adaptation tant cette bande-dessinée s’éloigne, au moins sur un point précis, de la morale proposée par Charles Dickens. Mais peut-on parler pour autant de trahison ? Probablement pas. En fait, c’est un peu plus subtile que cela.

Charles Dickens, je le vénère, là-dessus pas l’ombre d’un doute (sic). Je reste toutefois assez frileuse quand on s’éloigne un peu trop de l’œuvre de l’auteur car, de manière générale, adapter un classique de la littérature en s’écartant du matériel d’origine mais tout en en conservant l’esprit n’est pas tâche aisée, c’est même le plus souvent clairement casse-gueule. Je dois bien admettre, à ma plus grande surprise, que José-Luis Munuera m’a convaincue malgré mes réticences. En effet, une relecture féministe m'effrayait, ne souhaitant en aucun cas que l’on remplace un vieil homme par une jeune fille juste parce que c’est à la mode et pour faire style (prononcez « staïle »).

Ici, Ebenezer Scrooge est devenu… Elizabeth Scrooge, une jeune femme célibataire, carriériste, égoïste, les poches pleines et le cœur vide, imperméable à l’amour et à la compassion. Ce point de départ somme toute attendu et sans surprise, et fidèle à l’image d’Ebenezer, est particulièrement culotté car à l’instar du roman de Dickens, l’histoire se déroule bel et bien dans le Londres de 1843… et là je me suis dit « ouh la la ma fille, c’est pas gagné d’avance c’taffaire ! » Inévitablement, cette chère Elizabeth tellement libre va se permettre de se comporter comme aucune femme ne le faisait sous l’ère victorienne et elle aura accès à des domaines interdits aux personnes de son sexe à cette époque. Cela est-il gênant par rapport au respect de l’Histoire avec un grand H ? Si l’on part du principe qu’on a ici affaire à une fantaisie artistique littéraire, non. Mais je peux comprendre que cela puisse gêner certains, moi-même je n'étais pas sure de vouloir lire un ouvrage trop fantaisiste. Pour être franche, je m’attendais au pire alors que je n’avais pas encore tourné la page 10. Mais j’ai une nature plutôt confiante dans certaines situations alors je me suis laissée portée. Qué será, será !
Graphiquement, l’atmosphère triste, grise et hivernale d’un Londres en pleine révolution industrielle sied à la perfection à l’idée que l’on se fait du Londres de Charles Dickens où régnait la misère. Rappelons que l’inégalité sociale est la base même de son Chant de Noël et de son œuvre en intégralité. Les dessins sont immersifs, on sent le vent, la bise, les parfums des rues… et les couleurs froides (bleu, vert…) font sublimement ressortir les souvenirs lointains de la protagoniste, ses fantômes, les éclairages nocturnes vacillants, sa chemise de nuit, et tout simplement son visage, son regard et ses yeux que l’on devine en lutte permanente. Difficile donc de ne pas s’attacher à elle malgré son comportement détestable.

« Tu dois te souvenir de la personne que tu as été pour comprendre la personne que tu es et pour devenir la personne que tu pourrais être. »
Elizabeth Scrooge va-t-elle trouver la voie de la rédemption ? Mais son âme a-t-elle véritablement besoin d’être sauvée ? Rien n’est moins sûr. Elizabeth est une femme volontaire et tenace, une battante qui ne s’en laisse pas conter et, contrairement à son homologue Ebenezer, elle ne s’adoucira pas, elle partira même plutôt au combat ! Persistera-t-elle pour autant dans ses erreurs ? Ou bien essayera-t-elle de trouver un équilibre entre la femme que l’on voudrait qu’elle soit et celle qu’elle est réellement dans son for intérieur ? Quels moyens utilisera-t-elle pour parvenir à ses fins ?
Cette quête identitaire permettra au dessinateur espagnol de traiter en premier lieu, tout comme Dickens, l’inégalité sociale. Il ira toutefois un peu plus loin que l'auteur britannique en se montrant plus engagé et en tentant de désigner le ou les vrais coupables de la misère. Il abordera la pression sociale, l’aspect religieux, et évidemment le féminisme. La relation qu’Elizabeth (la sorcière) entretiendra avec Mrs Crachit (l’ange) est d’ailleurs particulièrement intéressante. Au-delà de l’aspect féministe, si l’on met en perspective le monde victorien de Charles Dickens et notre monde du 21ème siècle, la morale finale amenée par José-Luis Munuera semble particulièrement attrayante et pertinente. Les questions posées et les réponses proposées par Munuera sont en fait les mêmes que ce soit pour un homme ou pour une femme. Le combat n’est jamais gagné, ni contre les dictats de la société, ni contre les Dieux.

Tous publics
Date de parution : 10 novembre 2022
Editeur : Dargaud | Collection : Hors Collection Dargaud
80 pages
17 €


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