Prancer (1989), un film symbolique

Bonjour à tous.

Mardi dernier, après le boulot, j'ai passé mon après-midi à trier des listes de films de Noël (je vous expliquerai prochainement pourquoi) puis, parvenue je ne sais comment à rester éveillée jusqu'à 19 h 30, je ne voyais plus très clair. J'étais par conséquent sur le point d'éteindre mon PC (car parfois il faut aussi savoir s'arrêter) quand je suis tombée sur un article rédigé il y a quelques années et que j'avais oublié, un texte perdu dans les limbes de mes archives informatiques. Cet article concerne un film de Noël, de 1989, Prancer. Je vous le propose donc, avec quelques années de retard, un peu retravaillé.

Prancer est un film américain de John D. Hancock. A l'époque de sa sortie aux USA, le film a connu un joli succès critique, notamment pour le jeu profondément troublant de la toute jeune actrice principale Rebecca Harrell Tickell dans son tout premier rôle, mais aussi un bon accueil de la part du public, même si le film est aujourd'hui un peu oublié. Toutefois il n'est jamais sorti au cinéma en France, ni même en vidéo (en tout cas pas à ma connaissance), et jamais diffusé sur nos petits écrans (cf. note plus bas *). J'avais découvert son existence sur le tard, il y a une dizaine d'années, d'abord grâce à sa bande originale, étonnante pour un film de Noël, signée Maurice Jarre, une musique que j'avais trouvée suffisamment intrigante pour me donner envie de voir le film. J'étais donc partie à l'époque en quête du renne Prancer, en vain, l'animal sauvage était parfaitement introuvable. Et il y a environ cinq ans, une sympathique contacte Internet qui se reconnaîtra, a suivi une piste et m'a trouvé une version québécoise du film. Vous imaginez ma joie...

Après toutes ces années d'attente, je pouvais enfin découvrir ce film tant désiré. Et quelle ne fut pas ma surprise de voir un film, pour le moins... "autre", une oeuvre impossible à ranger dans une case tant il était bizarre. En matière de cinéma, je suis curieuse, prête à tout, et je me laisse tout le temps porter pour voir ou cela me mène. Prancer, d'emblée, je l'ai trouvée vieilli et un peu kitch, mais après cette première vision, il a continué à me hanter, m'obséder même, il me semblait indéfinissable, pauvre mais troublant, et j'ai voulu savoir pourquoi je ne parvenais pas à me le sortir de la tête, je l'ai donc revu quelques jours plus tard en sachant cette fois à quoi m'attendre. J'ai fini par me demander si Prancer, qui ne ressemblait en rien au film de Noël tel que l’on se le représente, était bien réellement un film de Noël ou si Noël n'était pas plutôt en fait qu'un prétexte pour nous parler de processus de deuil, de dépression, de détresse morale, d'âmes en perdition, de crise économique... le tout sur fond de conte horrifique.

Alors... Prancer...film de Noël ? Film fantastique ? Etude sociale d'une famille de laissés-pour-compte dans l'Amérique post-reaganienne des années 80 ?



Il est évident que cette histoire a été écrite pour émouvoir dans les chaumières mais elle ne manipule pourtant pas les sentiments du spectateur car la base du scénario est très réaliste, voir trop réaliste pour un film de Noël. Le récit se court-circuite lui-même en oscillant perpétuellement entre ce qui pourrait apparaître comme une avalanche de bons sentiments et un cadre social particulièrement sombre. Le réalisme de l’œuvre est en outre renforcé par une volonté de sincérité du scénariste Greg Taylor qui a écrit ce film pour sa fille alors âgée de 7 ans. Le réalisateur John D. Hancock a quant à lui tourné le film chez lui, en plein hiver sous -40°C, dans le village de son enfance à La Porte dans l’Indiana, dans la ferme où il a vécu. Les scènes de rues ont quant à elles été filmées dans le Michigan à Three Oaks qui pour l’occasion avait laissé ses décorations de Noël jusqu’au mois de mars !
Le film s’inspire dans une moindre mesure de l’article de Francis Pharcellus Church « Yes Virginia, there is a Santa Claus » publié le 21 septembre 1897 dans l’éditorial du journal New York Sun, en réponse au courrier de Virginia O'Hanlon, une fillette de 8 ans s’interrogeant sur l’existence du Père Noël.

Prancer est avant tout l’histoire de Jessica, 8 ans, traumatisée par le décès de sa mère. La fillette habite à la ferme dans un village où la crise économique fait chaque jour de nombreux ravages (endettement, chômage...). Son père (impeccable Sam Eliott) est fermier, un peu misérable et très contrarié, en apparence peu aimant et incapable d’élever son enfant. La fillette a également un frère rebelle écorché vif, une meilleure amie désabusée qui ne croit plus au Père Noël, une voisine acariâtre qui ne se remet pas de la mort de son enfant, ainsi qu'une professeure de chant peu encourageante… Tous ces personnages sont le triste le quotidien de Jessie qui s'accroche à sa croyance au Père Noël avec une révérence presque religieuse. Si le Père Noël n'existe pas, peut-être en est-il de même avec Dieu et dans ce cas, où sa mère irait-elle passer l'éternité ? La fillette compense son chagrin en se prenant soudainement d’affection, et jusqu’à l’obsession, pour un renne blessé rencontré en forêt, Prancer (ou Furie en français, le plus puissant des huit rennes magiques du Père Noël). Le titre laisserait supposer que le héros et le principal sujet du film est le renne Prancer, mais non, ce renne n'est qu'un exutoire, la véritable héroïne de l’histoire est Jessie qui à elle seule, du haut de ses 8 ans, bouleversera la vie de tout un village.
A l’instar du film, la bande originale électronique signée Maurice Jarre propose une nouvelle approche de la musique dite « de Noël » et s’écarte des standards habituels. Tout comme le film, la musique se met au niveau de l’enfant, décrit ses sentiments perturbés, ses peurs et ses espoirs, la musique lui donne la voix dont on la prive, au sens figuré comme au sens propre. Après des chuchotements en pré-générique, les premières images du film sont mises en scène de manière un peu dérangeante, voire désagréable pour l’oreille. On y voit une classe interprétant en chœur un chant de Noël, avec des gros plans étouffants sur le visage de la professeure de chant antipathique. Cette scène, qu’on espère ne pas voir s’éterniser dans le temps, nous met particulièrement mal à l’aise jusqu’à que les élèves et la professeure demandent clairement à Jessie de ne plus ouvrir la bouche, nous libérant ainsi du calvaire. Au moment du spectacle de Noël des enfants, en ouverture durant le générique, le thème lyrique principal de Maurice Jarre prend alors le relais sur un discordant « Douce Nuit » et ouvre ainsi la voie à Jessie, qui n’est pas du genre à accepter un « non » comme réponse. Au cours du film, une autre scène symétrique viendra faire écho à la scène d’ouverture, mais cette fois tout le village viendra accompagner Jessie qui aura ainsi récupérer sa voix et qui, comme l’avait fait Virginia en 1897 à New York, aura ranimé l’esprit de Noël dans le cœur des habitants du village.

Le film oscille entre des envolées lyriques, douces et fragiles connectés aux sensations de la petite fille et à la grandeur mythologique du renne et des scènes tendues et particulièrement inquiétantes hantées par le malheur des villageois, l’univers sombre des forêts hivernales et l’entourage dépressif et misérable de Jessie. Par exemple, le manoir peu accueillant de la voisine, représentée comme une sorcière, s'inscrit dans la plus pure tradition des films d’horreur de l'époque (années 80).

Vous vous doutez bien que cette histoire de fillette et de renne blessé ne peut pas mal se finir. Sur de belles envolées de choeurs, on assistera à la libération du renne, à la libération de la parole de Jessie, et enfin à la libération du père enfin prêt à aller de l’avant.

"Oui Père Noël, il y a des Virginias..."
Un film méconnu mais fort passionnant si on prend le temps de se pencher sérieusement dessus, qui ne mérite pas d’être boudé ni oublié sous prétexte qu’une histoire de renne de Noël ce n’est que pour les enfants.

Un remake est sorti aux USA à l'automne 2022, Prancer: A Christmas Tale, réalisé par Phil Hawkins et avec l'excellent James Cromwell. En France, on le trouve très facilement à l'achat/location en VOD sur les plateformes Apple, Prime, Canal, Univers Ciné et Rakuten TV. Je ne l'ai toujours pas vu, mais il est sur ma watchlist.

En savoir plus sur la bande originale de Prancer par Maurice Jarre, c'est par ici, sur le site UnderScores.

Crédit photos : © Cineplex Odeon Films / Nelson Entertainment / Raffaella Productions

(*) Edit 29/08/2024 : Le film a bel et bien édité en DVD zone 1 et dispose d'une VOSTF et d'une VF.

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