Corbeau, voleur de lumière... une légende d'hiver

"Celui qui connaît un conte ne doit pas le garder"
Le solstice d'hiver et la lumière
En décembre, au cœur de la saison froide, le solstice d'hiver symbolise le retour de la lumière et la vie renouvelée. Que nous célébrions un Noël familial, un Noël Chrétien, la fête de Yule païenne, la fête juive de Hanoukkah, la fête indienne de Diwali, etc... nous avons tous un point en commun, l'utilisation de bougies ou de flambeaux symbolisant la lumière si précieuse, repoussant les ténèbres de l'hiver et de la nuit ainsi que la peur du lendemain. Cette lumière est fondamentale chez tous les peuples, partout dans le monde, qu'elle que soit notre religion. Dans le respect des croyances de chacun, on peut s'interroger sur cet aspect, commun à tous, et réfléchir au rôle de la lumière, figurant l'idée de la création et la connaissance. La légende Haïda du Corbeau imagine la naissance de la lumière et nous explique ce que cet oiseau mythologique a apporté à l'humanité. Un conte pour faire revenir le soleil et éveiller les esprits...

Qui sont les Haïdas ?
Les Haïdas, enfants de l'Aigle et du Corbeau, sont un peuple autochtone de la côte ouest du Canada et du sud-est de l’Alaska dont on ressence aujourd'hui 500 descendants. Il y a environ 8000 ans, ils occupaient l'archipel Haïda Gwaïi (qui signifie les "îles du peuple" en langue haïda - encore parlée aujourd'hui par quelques 400 personnes) en Colombie-Britannique. Le sud de l'archipel, Gwaii Haanas ("les îles magnifiques") a été classé réserve naturelle en 1988. Dans les villages, les communautés étaient divisées en deux grands groupes, celui de l'aigle et celui du corbeau.


Passés maîtres dans l'art de travailler le bois, ils sculptaient de gigantesques mats totémiques traditionnels de toute beauté. Aujourd'hui les Haïdas vivent du commerce de la pêche, des activités forestières, de travail artisanal, d'écotourisme, et gèrent également le parc naturel. Si le sujet vous intéresse, n'hésitez pas à parcourir les quelques liens ajoutés en fin d'article.
La légende du Corbeau, voleur de lumière
Il y a fort longtemps, au tout début du monde, les peuples vivaient dans l'obscurité la plus totale. La lumière était enfermée dans une boîte, elle-même cachée dans la hutte d'un vieux pêcheur au fin fond d'une forêt. Corbeau voulut s'emparer de ce trésor et mit au point une subterfuge. Il se transforma en épine de pin, se laissant flotter sur les flots de la rivière. La fille du vieil homme partit chercher de l'eau, but l'eau de la rivière et avala l'aiguille. Elle tomba enceinte et neuf mois plus tard donna naissance à un petit garçon. L'enfant voulut très tôt s'emparer de la lumière dans la boîte et implora son grand-père de l'ouvrir. Le grand-père finit par céder face aux pleurs de son petit-fils. Il ouvrit la boîte, l'enfant se saisit immédiatement de la lumière et reprit instantanément la forme de Corbeau. Il s'envola alors dans le ciel, portant avec lui la boule de lumière qui devint le soleil. Depuis lors, nous ne vivons plus dans les ténèbres...

Corbeau et le secret de la lumière de Marie Barguirdjian & François Thisdale
Marie Barguirdjian, auteur jeunesse d'origine française, vit au Québec depuis 1998. En 2014, elle a retranscrit la formidable légende de Corbeau dans une magnifique album illustré. Ce conte merveilleux nous fait ainsi découvrir une culture dont on connaît peu si ce n'est même rien du tout (d'autant plus en France !) et nous fait voyager loin... très loin... dans les îles de l'archipel Haida Gwaïi, à la découverte d'une autre culture, d'une autre histoire, d'une autre poésie, d'une autre vision de notre monde et de sa création. L'écriture, à la fois simple et d'une richesse à fleur de peau, traduit avec enchantement ce mythe autochtone. Les illustrations, signées François Thisdale sont de toute beauté, mariant de manière purement magique les bleus profonds de la nuit et ses ombres, aux couleurs lumineuses, dérobées par Corbeau, mais déjà présentes dans les regards de l'enfant et de son grand-père et dans les plumes de Corbeau. Envoutant et mystique de bout en bout.
Ce livre n'est malheureusement pas trouvable en France (y compris sur tous les gros sites de vente en ligne) et si vous souhaitez vous le procurer, il va vous falloir taper à la porte de nos cousins québécois où l'album est disponible à peu près partout, dans toutes les bonnes librairies... il faudra toutefois casser votre tirelire pour payer les frais de port, aussi chers que le livre lui-même (vous êtes prévenus).
Ed. Bayard Canada (2014), à partir de 9 ans

Contes très merveilleux des quatre coins du monde
Ce recueil particulièrement féérique regroupe des contes issus du folklore de tous les continents. Histoires merveilleuses, personnages extraordinaires, animaux fantastiques... Des récits émouvants, lumineux et bienveillants, d'une beauté rare, racontés par Praline Gay-Para, docteur en ethnolinguistique. Vous y trouverez notamment l'histoire merveilleuse de Corbeau. Je conseille très vivement ce livre.
Ed. Babel (2014), tout public
Corbeau vole la lumière : Recueil de mythes haïdas
(je n'ai pas encore lu cet ouvrage)

Bill Reid, peintre et sculpteur, a consacré une partie de sa vie au peuple Haïda. Dès 1981, l'artiste donna vie à de nombreuses légendes ancestrales, ses "monochrome ghosts". Robert Bringhurst, poète, a puisé son inspiration dans les mythologies grecque et amérindienne. Tous deux publièrent l'ouvrage, Corbeau vole la lumière : Recueil de mythes haïdas, préfacé par Claude Lévi-Strauss en 1989.
Ed. Plaines - 2011

Northern Exposure
En écrivant mon article, je me suis rappelée qu'en parcourant il y a quelques mois l'ouvrage Yule de Susan Pesznecer, j'avais déjà croisé l'histoire de Corbeau. Dans un chapitre consacré à la lumière, l'auteur faisait référence à la série télévisée Northern Exposure (Bienvenue en Alaska, 1990-1995) et à un épisode en particulier, Seoul Mates (Surprise de Noël, saison 3, 1992). Le point de départ de cette série est simple : Joel Fleischman, jeune médecin juif fraîchement diplômé, quitte New York pour installer son cabinet an Alaska, à Cicely, une petite ville de 215 habitants. Dans l'épisode dont il est question, un épisode de Noël, l'un des personnages est approché par un jeune homme coréen qui se révèlera être son fils. L'épisode se termine par un spectacle mythologique sur scène mettant en scène l'histoire de Corbeau, voleur de lumière. Jusqu'ici je ne connaissais absolument pas du tout cette série et je n'en ai jamais vu aucun épisode. Toutefois, curieuse dès qu'il s'agit de Noël et du solstice d'hiver, j'ai cherché des informations sur ce fameux épisode Seoul Mates et j'ai eu beaucoup de chance car le final théâtrale et l'histoire Haïda de Corbeau est disponible sur Youtube. Sans rien connaître d'autre sur Northern Exposure (qui semblerait avoir bonne réputation y compris en France où la série a malgré tout été diffusée très tardivement), je vous avoue que cela m'a donné envie de la découvrir car cette scène, superbe, présage une œuvre intelligente, ouverte et sensible. Je vous laisse en juger.



Faites de beaux rêves...


Sources
  • The Canadian Encyclopedia
  • Musée canadien de l'histoire
  • Corbeau vole lumière - Bill Reid, Robert Bringhurst
  • Infodoc
  • Wikipedia
  • Marie Barguirdjian
  • Praline Gay-Para
  • Dessin #1 : Infodoc
  • Drapeau : The Flag of the Haida people | Sodacan - CC-BY-SA 4.0
  • Photo totem : Ryan Bushby (domaine public)
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