Histoires de Noël pour frissonner au coin du feu

"Il m'a toujours semblé que le nuit de Noël était une nuit spéciale, où il survenait des choses particulières, des évènements plus heureux ou plus malheureux. Ce soir, j'ai comme une appréhension"
Enfant, je lisais très peu et je me forçais, dans la douleur, à ingurgiter les lectures obligatoires pour l'école avec comptes-rendus oraux et fiches à la clef, deux exercices que j'exécrais. Une lecture n'était-elle pas sensée nous appartenir, à nous et à nous seuls ?
Plus tard ce que je pensais être un manque d'intérêt pour la littérature m'a rendue très malheureuse car toutes ces lectures obligatoires ne m'apportaient absolument rien, ni pour ma distraction personnelle, ni pour ma culture, ni pour développer mon sens de l'analyse, ni humainement. C'était juste très pénible car je m'ennuyais à mourir en classe et encore plus quand il s'agissait de tourner des pages une fois chez moi. Je pensais alors que je faisais une sorte de résistance face à des livres et des histoires que je n'avais pas choisis (et malheureusement l'école ne laisse guère de temps pour lire des ouvrages autres que ceux inscrits sur les listes obligatoires). J'ai fini par admettre que je n'aimais pas lire, purement et simplement. Ce constat m'attristait car j'aimais les mots, j'aimais les structures de la langue, j'aimais écrire mais j'avais l'impression que les mots ne me le rendaient pas et pire, qu’ils ne me le rendraient peut-être jamais. C'est en tout cas ce que je croyais jusqu'à que je découvre, au collège, Les Contes de Perrault (oui, je les ai lus tardivement), La Vénus d'Ille de Prosper Mérimée, Maupassant et ses Nouvelles Fantastiques puis L'Île aux trente cercueils de Maurice Leblanc. Et là, sans rire, j'ai vu la lumière !

Aujourd'hui, si mes goûts en matière de lecture se sont évidemment très diversifiés et affinés, je suis restée fidèle aux histoires qui font peur et aux contes fantastiques. J'aime encore et toujours cet inquiétant petit frisson qui nous met dans l'ambiance et nous transporte dans une dimension "autre" où l'âme humaine est sondée dans ses recoins les plus tortueux, ses aspects les plus sombres et ses pensées les plus inavouables. Il y a quelques mois, en parcourant le site web de Décitre (pub gratuite) en quête d'histoires de Noël adultes (hors romance, je n'aime pas le genre), je suis tombée sur ce titre plein de promesses "Histoires de Noël pour frissonner au coin du feu". Et là, mon cœur a fait un bond joyeux. Oh mais que lis-je ?! Un recueil de trois nouvelles fantastiques de Noël signées Gaston Leroux, Maurice Leblanc et Erckmann-Chatrian ? Allez hop, c'est pour moi ça ! Pour vous dire toute la vérité, à ce moment-là, je n'avais pas la moindre idée de qui était Erckmann-Chatrian. Mais cette nouvelle découverte à venir m'enthousiasmait déjà (et l'histoire me dira que j'avais bien raison de m'enthousiasmer ainsi).

"La nuit de Noël, quand le monde entier célèbre la paix et l’amour, la Mort continue de rôder, tandis que ses acolytes, le crime et la peur, hantent les ténèbres étoilées…
Sous la plume d’Erckmann et Chatrian, de Gaston Leroux ou de Maurice Leblanc, certains réveillons sont bien moins féeriques que d’autres et se chargent même d’une insoutenable tension !"
L'accroche des éditions de l'aube ne ment pas sur la marchandise. Je me suis régalée en lisant ce court recueil de leur collection Mikros Classique. Cette collection a pour objet de proposer des œuvres littéraires injustement oubliées.

La première nouvelle, La Montre du Doyen, est signée Erckmann-Chatrian, pseudonyme de deux écrivains lorrains, Émile Erckmann (1822-1899) et Alexandre Chatrian (1826-1890) connus pour leurs romans nationaux d'inspiration régionale et leurs contes populaires et fantastiques. Un musée leur est consacré dans la ville de Phalsbourg en Moselle.
Émile Erckmann & Alexandre Chatrian


Les deux auteurs étaient reconnus, très lus, et ont été édités en leur temps par Hetzel (éditeur de Jules Verne notamment), mais considérés à tort comme écrivains régionalistes dont les œuvres étaient destinées à la jeunesse (on trouvait des extraits de leurs nouvelles et romans dans les manuels scolaires), et furent par conséquent rapidement oubliés.
Noëlle Benhamou, Maître de Conférences en langue et littérature françaises (Université de Picardie Jules Verne), chercheuse au Centre d'Etudes des Relations et Contacts Linguistiques et Littéraires et spécialiste de littérature du 19ème siècle et de Maupassant, tente aujourd'hui de faire revivre l'oeuvre de Erckmann-Chatrian. Elle a consacré un site aux deux écrivains.
"Il faut que tout soit un peu idéaliste, car la réalité plate, telle qu’on la comprend et qu’on la pratique aujourd’hui est trop assommante" (Émile Erckmann)
L'histoire de La Montre du Doyen (1832) se situe dans un milieu rural au cœur de la Forêt Noire, la veille de Noël. A aucun moment il n'est véritablement question de Noël, en revanche, l'ambiance hivernale du village reculé d'Heildeberg, où se produit une vague d'assassinats, est dépeinte à la fois avec réalisme (climat réconfortant de l'auberge et des brasseries refuges des habitants durant la saison froide et hostile) et étrangeté (phénomènes sinistres survenant la nuit, paysages transformés par les conditions météorologiques, obscurité des pièces, ...). Les villageois se montrent très méfiants quand deux musiciens itinérants, Kasper et Wilfrid, arrivent en ville. Ils seront évidemment rapidement soupçonnés. Ce conte, teinté de mystère et fantastique dans son approche, est captivant de bout en bout. L'on passe de la réalité à une bien inquiétante rêverie, sans forcément que tout nous soit au final expliqué. Mais nul besoin d'en savoir plus car le plus intéressant est la façon dont les auteurs parviennent à transfigurer les espaces et ainsi à infiltrer l'étrange dans le banal, notre imaginaire faisant le reste. Autant vous dire que je viens de découvrir là deux grands écrivains que je vais de ce pas apprendre à mieux connaître. Je me suis régalée.

"(...) le capitaine Michel (qui avait gardé le goût de la chair humaine sur un radeau de la Méduse dont les naufragés étaient revenus, après s'être plus ou moins grignotés, manchots ou culs-de-jatte)."
(Gaston Leroux)
C'est par cette discussion de comptoir entre vieux loups de mer, particulièrement amusante pour qui aime l'humour (très) noir (oui, j'ai éclaté de rire en lisant cette phrase !), que débute la seconde nouvelle, Le Noël du petit Vincent-Vincent (1924) de Gaston Leroux (1868-1927, auteur notamment du Mystère de la chambre jaune, du Parfum de la dame en noir et du Fantôme de l'Opéra). Ainsi, dès la première page, le ton est donné. Amis de la gaudriole, passez votre chemin !

Gaston Leroux


L'un des marins, le narrateur, décide d'éblouir une nouvelle fois la galerie avec un récit détonnant et épouvantable. L'homme est connu pour ces aventures rocambolesques que l'on sait inventées, et son auditoire diminuera au fur et à mesure que le suspens s'installera. Finalement il ne restera que nous (représentés par le seul marin courageux restant) et notre besoin vital de savoir et de comprendre. Vincent-Vincent, c'est le fils adoptif du narrateur, et son passé est, disons-le, dramatique. Comment ce "pauv'petit" est-il devenu orphelin ? Et quel mystère atroce se cache derrière cette sombre histoire d'assassinats ? Un conte tout à la fois radical dans l'approche et les actes et malgré tout particulièrement émouvant. C'est extrèmement cruel et beau à chialer toutes les larmes de son corps, car cette histoire de meurtre est aussi est surtout une histoire d'amour. Le récit est captivant, on s'accroche aux lèvres du narrateur, et à la fin, on ne rigole plus du tout, même si la dernière phrase, ironique à souhait, pousse à un rire bien amère. Vous voilà prévenus !

Maurice Leblanc


Passons à la troisième et ultime nouvelle du recueil, Noël Tragique, dont le titre est ma foi assez révélateur ! Une intrigue signée Maurice Leblanc (1864-1941), auteur des aventures du gentleman-cambrioleur Arsène Lupin. Deux sœurs, que tout réunit, jusque dans les moindres détails de leur destinée respective, vont voir leur vie impactée par un évènement atrocement malheureux. La tragédie d'une nuit de Noël pas comme les autres, emprunte d'un pressentiment douloureux, où l'on devine une fin inéluctable. On ne peut éviter le malaise, omniprésent, qui monte en puissance jusqu'aux derniers mots de la dernière page. Du grand art en terme de création de suspens, d'attente angoissée...

Vous l'aurez compris, avec ce recueil, il s'agit avant tout de se faire peur et de tordre le cou à la morale. Ce n'est pas un livre à lire à de jeunes enfants lors d'une veillée de Noël féérique. Non. En revanche, si le côté obscur vous tente, que vous appréciez les histoires de meurtres croustillantes, les contes et nouvelles fantastiques, que vous êtes fan de La Quatrième Dimension et des contes parfaitement immoraux de la série britannique Bizarre, Bizarre... allez-y, foncez, et prenez votre pied !

Pour info : la couverture du livre est un détail du tableau Veille de Noël de Carl Larsson.

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