Des boules de neige printanières, une belle histoire iséroise et une chanson ukrainienne !

Des boules de neige printanières, une belle histoire iséroise et une chanson ukrainienne ?!... Vraiment ?!
Oui tout ça dans un seul et même article printanier qui fait écho à mon texte sur le Muguet du 1er mai. Aujourd'hui, je vais vous parler d'une autre fleur et d'un fruit, moins traditionnels que le muguet (en tout cas en France) mais pas moins intéressants.

Le 1er mai, je suis rentrée à la maison avec un bouquet de boules de neige et une histoire traditionnelle qui je l'espère vous plaira. A ce qu'il paraît, quand on connaît un conte, on ne doit pas le garder pour soi mais le partager. J'ai l'intime conviction qu'il en va de même pour les traditions, d'autant plus quand elles sont oubliées. C'est ce qu'a fait ma belle-mère pour moi, elle a partagé une histoire et une coutume ancestrale perdue au début des années 1960... j'espère qu'un jour cette ancienne petite tradition sympathique reviendra sur le devant de la scène des rituels printaniers, car elle est charmante.
Mon magnifique bouquet de boules de neige

Belle-maman a beaucoup bougé lorsqu'elle était enfant et changer de région durant la première moitié du 20ème siècle en France, cela signifiait également parfois changer de traditions. Les Français expatriés récemment dans un autre pays savent de quoi je parle. Aujourd'hui en France, à quelques exceptions près, nous avons tous plus ou moins les mêmes coutumes. Mais dans les années 1940, notre beau pays avait encore des traditions extrêmement diversifiées selon les régions et déménager dans un autre département, s'apparentait d'une certaine manière à changer de pays. Si cette situation n'a pas toujours été simple pour ma belle-mère, elle a eu la chance d'être née au sein d'une famille aimante et unie ce qui lui a permis de ne pas perdre pied. En prime, partout où elle est allée, elle a eu un beau jardin auquel se rattacher. Cette passion, elle en a fait plus tard son métier, elle est devenue agricultrice (dans la catégorie petit producteur). Aujourd'hui retraitée, elle a toujours un vaste jardin où elle fait pousser légumes et fruits et... des fleurs, tout plein de fleurs, partout, son jardin c'est sa vie ! J'aime me promener dans le jardin de belle-maman en sa compagnie, elle a toujours énormément de choses magnifiques à me montrer et aussi d'histoires passionnantes à me raconter. Je reste tout ouïe, car ce sont de belles histoires, comme je les aime, des contes traditionnels vivants. J'aime ces conversations où, paradoxalement, tout ce que j'ai à faire, c'est me taire... et écouter !

Viorne obier en fleurs

Le 1er mai, j'ai déjeuné chez mes beaux-parents et la première chose que j'ai vu en arrivant c'était, contre toute attente, non pas du muguet, mais un gros bouquet de boules de neige posé au centre de la table (je vous rassure, le muguet était dans une autre pièce). Devant mon émerveillement, belle-maman m'a alors dit qu'on irait en cueillir un second bouquet, pour moi, après le repas. Oui, belle-maman est adorable. Une fois le dessert terminé et la cuisine rangée, nous sommes donc sorties dans le jardin sous la pluie pour me faire un beau bouquet de boules de neige. Ce fut l'occasion pour moi d'admirer son magnifique Viorne Obier et d'écouter une belle histoire iséroise remontant aux années 1950. Mais commençons par le commencement...
Le 1er mai en Isère dans les années 1950
A la préadolescence, à la fin des années 1940, ma belle-mère a quitté son Territoire de Belfort natal pour suivre ses parents en Isère. Elle a d'abord vécu quelques temps dans le joli village médiéval de Crémieu puis a une nouvelle fois déménagé, à l'adolescence, toujours dans l'Isère. L'année de son installation, le 1er mai à 2 heures matin (oui !), des jeunes gens fougueux sont venus tambourinés à sa porte afin de réveiller un peu violemment toute la maisonnée. Très surprise, et se sentant même un peu agressée, belle-maman a tout simplement décidé d'ignorer ces fous-fous qui n'avaient, selon elle, rien de mieux à faire qu'aller embêter les gens chez eux au beau milieu de la nuit. Dès le lendemain, ces derniers les ont pris à partie dans la rue, elle et sa sœur, leur signifiant que, vu qu'elles n'avaient pas daigné répondre à leur appel, l'année suivante ils balanceraient des cailloux sur leur maison ! Ne comprenant absolument rien à tout cela, les deux jeunes filles ont évidemment demandé des explications.

Dans ce hameau de l'Isère, tous les 1er mai, à partir de minuit, il était de coutume pour les jeunes hommes d'aller porter des bouquets de fleures printannières (principalement des boules de neige mais aussi du muguet ou des perce-neiges) aux jeunes filles du village, et ces dernières devaient en échange recevoir les adolescents chez elles pour leur offrir des confiseries et des pâtisseries. Ils réveillaient les jeunes filles et leur chantaient fleurette à tue-tête sous leurs fenêtres :
"Réveillez-vous mes demoiselles,
C'est le printemps qui vous appelle !"
L'année suivante, chez ma belle-mère, parents et enfants ont donc tous prévu le coup et ont préparé plein de petits gâteaux à offrir. Et depuis ce jour-là, ce ne sont pas deux ou trois adolescents qui sont venus frapper à la porte, mais tous les jeunes gens du village ! Probablement que les gâteaux étaient délicieux !

Plus de 60 ans plus tard, belle-maman se souvient avec beaucoup d'émotion des 1ers mai de sa jeunesse. C'était aussi l'occasion pour tout le village de faire des grands feux de joie par-dessus lesquels tous les jeunes gens sautaient gaiement. Ces traditions se sont par la suite perdues pour disparaître complètement au début des années 1960 (selon ma belle-mère à cause de la télévision !). Très concrètement, de mon point de vue, les années 1950, c'était hier. On parle ici d'histoire récente et tant qu'il y a des gens pour se souvenir et raconter leur vie et leurs traditions, tout espoir n'est pas perdu pour que ces rites joyeux et fleuris réapparaissent un jour. C'est donc avec un plaisir immense et une grande joie que j'ai partagé cette partie de la vie de ma belle-mère avec vous tous... et avec le secret espoir que... qui sait... les feux de joie du 1er mai et les boules de neige printanières enamourées refassent un jour surface.
Le Viorne boule de neige, c'est quoi ?
Le Viorne Obier, Guelder Rose (Rose de Gueldre en anglais, du nom de l'un des duchés du Saint empire romain germanique, aujourd'hui Gerlderland aux Pays-Bas) ou Viorne Boule de neige est un arbuste particulièrement élégant, lumineux et décoratif. Celui de belle-maman mesure un peu moins de 3 mètres de hauteur sur peut-être 2 mètres de large et est particulièrement touffu. Entre mai et juillet, il se pare de grosses fleurs blanches, telles des boules de neige, d'où son nom, vous l'aurez deviné.
Repérez le petit habitant qui s'est glissé sur la photo...

Cet arbuste est également magnifique à l'automne. Une fois sa floraison terminée, ses feuilles virent au rose et au rouge du plus bel effet et apparaissent alors des grappes de baies rouge vermillon qui font le bonheur des oiseaux durant tout l'hiver. Le Viorne Obier est beau à toutes les saisons ! Je tâcherai de vous faire des photos à l'automne prochain.
Photo : Ihtar
Le l'Isère à... l'Ukraine !
Planté dans tous les jardins, l'Obier est un symbole fort en Ukraine, très présent dans l'art traditionnel et dans de nombreuses coutumes. En ukrainien, on le nomme калина, Kalina. La célèbre chanson d'amour et un brin coquine (du fait de certains double sens en ukrainien), Kalinka a été composée écrite en son honneur en 1860 par Ivan Petrovitch Larionov (1830 – 1889). L'ajout du K étant une marque d'affection, de la même façon en français quand on ajoute le suffixe -ette à un mot pour le rendre plus agréable ou pour désigner quelque chose de plus petit ou plus mignon (exemples : amourette, fillette, bichette, jupette...). Kalinka signifie donc littéralement "petite baie d'Obier", fruit national qui représente l'amour dans les poèmes et les chants traditionnels. On trouve les paroles de Kalinka traduites en français sur Wikipedia, les voici. A noter que Liouli est, dans le folklore slave, la déesse de la Terre, du Printemps, de l’Amour et de la Fertilité.

https://www.youtube.com/watch?v=uG476e4P6q0


Petite baie, petite baie, ma petite baie !
Dans le jardin, il y a des petites framboises, ma petite framboise !

Sous le sapin, sous la verdure,
Je suis allongé pour dormir
Ah, liouli, liouli, ah liouli, liouli,
Je suis allongé pour dormir.

Petite baie, petite baie, ma petite baie !
Dans le jardin, il y a des petites framboises, ma petite framboise !

Ah, petit sapin, toi qui es vert,
Ne fais donc pas de bruit au-dessus de moi
Ah, liouli, liouli, ah liouli, liouli,
Ne fais donc pas de bruit au-dessus de moi

Petite baie, petite baie, ma petite baie !
Dans le jardin, il y a des petites framboises, ma petite framboise !

Ah, jolie fille, chère jeune fille,
Tombe donc amoureuse de moi !
Ah, liouli, liouli, ah liouli, liouli,
Tombe donc amoureuse de moi !

Petite baie, petite baie, ma petite baie !
Dans le jardin, il y a des petites framboises, ma petite framboise !


La chanson Oh l'Obier rouge dans la prairie, Ой у лузі червона калина, était en outre l'hymne de l'Armée Insurrectionnelle Ukrainienne.

https://www.youtube.com/watch?v=xs1dCShT8r8

Dans les contes merveilleux, il est fait également souvent référence aux ponts en bois d'Obier, parfois passage entre le monde des morts et le monde des vivants.

Les baies de l'Obier sont toxiques, mais peuvent toutefois être consommées après cuisson et ont dans certains cas des utilisation médicinales et thérapeuthiques (elles auraient des vertus calmantes et sédatives). En Ukraine, la confiture de Kalina est un produit extrêmement courant, dès l'automne venu, vous en trouverez sur tous les marchés, ainsi que du jus de fruit, de l'infusion, de la gelée...

The Guelder Rose Fairies de Cicely Mary Barker
Finissons une fois encore avec un poème et une illustration de Cicely Mary Barker... Au chapitre des fées des arbres, nous retrouvons bien entendu le Viorne Obier, Guelder Rose, et ses si féériques boules de neige printanières.

© The Complete Book of the Flower Fairies

The Guelder Rose Fairies

There are two little trees:
In the garden there grows
The one with the snowballs;
All children love those!

The other small tree
Not everyone knows,
With her blossoms spread flat—
Yet they’re both Guelder Rose!

But the garden Guelder has nothing
When her beautiful balls are shed;
While in Autumn her wild little sister
Bears berries of ruby red!


Oui, il neige aussi en mai,
les flocons se transforment alors en délicates pétales blanches.
Faites de doux rêves...


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