Charles Dickens, l'homme qui réinventa Noël

Charles Dickens (1812-1870)
Le romancier britannique Charles Dickens, de son nom complet Charles John Huffam Dickens, est probablement l’homme de lettres le plus illustre de l’ère victorienne (1837-1901). On lui doit notamment Oliver Twist (1837), David Copperfield (1850), Un Conte des Deux Cités (1859), De Grandes Espérances (1860)… et bien entendu son célébrissime Un Chant de Noël publié en 1843.

"Dans le petit monde où vivent les enfants, rien n'est plus délicatement perçu et senti que l'injustice."

Charles Dickens est né en Angleterre à Landport, près de Portsmouth, le 7 février 1812. Il est issu d’une famille modeste et est le second d’une fratrie de huit enfants, il doit donc prendre rapidement des responsabilités.
Son père, John Dickens, employé de bureau pour la Royal Navy (qui réduit alors ses effectifs), est muté à Londres en 1815 où sa famille le rejoint un an plus tard. L’enfance de Charles est à cette époque douce et heureuse. Toutefois, son père dépense plus qu’il ne gagne et c’est alors que les difficultés commencent. Afin de réduire son train de vie, la famille déménage à plusieurs reprises et finit par s’installer à Camden Town, où la vie est nettement moins dispendieuse et où la mère de Charles espère ouvrir une école. Toutefois, le projet tombe à l’eau, John s’endette de plus en plus et il est finalement rattrapé par ses créanciers et emprisonné.

En 1824, alors qu’il n’a que 12 ans, le jeune Charles doit malheureusement quitter l’école et dire adieu à ses études et ses projets d’avenir pour aider financièrement sa famille. Il est embauché dans une fabrique de cirage de chaussures où il travaille près de 14 heures par jour. A cette époque, le travail des enfants était chose courante et on envoyait les petits à l'usine dès l’âge de cinq ans. De cette période malheureuse, dont Charles Dickens ne se remettra sans doute jamais, naîtra chez l’auteur une forme d’obsession pour la pauvreté et la faim, que l’on retrouvera inévitablement dans l’intégralité de son œuvre. L’écrivain décrira également toujours l’enfance avec beaucoup de nostalgie, un fort sentiment de pureté mais aussi énormément de tristesse.

Néanmoins Dickens ne se laisse pas abattre et, passionné de lettres et de littérature, il parvient à s’extirper de sa misère en se formant seul à la sténographie. Il est embauché par un cabinet juridique, puis pour différents journaux et prend également des cours de théâtre.

Entre romantisme et réalisme
En 1836 Dickens fait ses débuts d’écrivain et publie pour la première fois un recueil de nouvelles dans le journal Morning Chronicles, Les Esquisses de Boz, Illustrations de la vie et des gens de tous les jours (Boz est alors son pseudonyme). Suit un an plus tard le roman burlesque Les Aventures de M. Pickwick publié sous forme de fascicules hebdomadaires et qui reçoit un enthousiaste et chaleureux accueil des lecteurs.
A cette même époque, Charles Dickens fréquente régulièrement un de ses collègues du Morning Chronicles, George Hogarth, journaliste mais aussi conseiller juridique du célèbre écrivain écossais Walter Scott à qui Dickens voue une profonde admiration. Charles est amené à rencontrer régulièrement les filles de George, Catherine, Mary et Georgina et Charles épouse Catherine Hogarth. Le couple s’installe à Holborn, un quartier de Londres, et ils hébergent Mary, alors âgée de 17 ans.

A partir de février 1837, Dickens publie Oliver Twist en 32 feuilletons mensuels dans la revue Bentley's Miscellany. Le roman raconte les aventures de Oliver, un jeune orphelin qui ne connaît que mauvais traitements et privations et qui, en fuite dans une Londres violent, glauque et lugubre, est recueilli par une bande de voleurs, mais qui finit par recevoir le soutien d’un mystérieux bienfaiteur…
Dickens est alors en pleine gloire et Oliver Twist s’exporte jusqu’aux Etats-Unis. Toutefois, la nuit du 3 mai 1837, Mary meurt subitement dans les bras de Charles. Ce dernier ne se remettra jamais du décès de sa belle-soeur avec qui il était très proche et il portera la bague de la jeune femme jusqu’à la fin de ses jours.

"Nous n'avons pas à rougir de nos larmes, elles sont une pluie sur la poussière de la terre qui recouvre nos cœurs endurcis."

En 1938 naît le premier enfant de Charles et Catherine, Charles impose à son épouse de l’appeler Mary. Georgina rejoind alors le couple pour s’occuper de leur logis et de leurs enfants (durant leurs 22 années de mariage, Charles et Catherine auront 10 enfants) et elle devient la confidente de Charles. Au fil du temps, la relation conjugale du couple se détériore tandis que Charles prend pour maîtresse une jeune comédienne, Elle Ternan, mais se rapproche également de Georgina qui restera fidèle à Charles jusqu’à la fin de sa vie.

A partir de 1842 Dickens voyage énormément et donne des conférences en France et aux Etats-Unis, où il propose des lectures triomphales de ses œuvres. Il est riche, célèbre, et continue de subvenir aux besoins de son père veuf et de ses frères et sœurs. Chaque fin d’année, il publie une courte nouvelle de Noël. Ainsi, en décembre 1843, c’est la consécration avec Un Chant de Noël (A Christmas Carol), publié chez Chapman & Hall et illustré par John Leech. Dickens est non seulement acclamé par le public mais également par la critique.

Un chant de Noël est aujourd’hui considéré à juste titre comme l’« œuvre la plus parfaite » de Charles Dickens et l’auteur est aujourd’hui en 2022 l’incarnation même de l’esprit de Noël. On ne compte plus les adaptations cinématographiques, télévisuelles, théâtrales, en dessins animés, en comédies musicales… Un chant de Noël n’a pas simplement marqué l’ère victorienne mais est devenu un immense classique qui a transcendé le temps pour arriver jusqu’à nous. Charles Dickens a véritablement réinventé Noël et a reposé les fondements culturels de cette célébration dans les pays anglo-saxons mais aussi dans de très nombreux pays européens.

En 1849, Charles Dickens se lance dans un vaste projet autobiographique et rencontre une nouvelle fois un succès phénoménal avec David Copperfield qui décrit l’enfance tourmentée du malheureux David jusqu’à son ascension sociale et la réalisation de son rêve, devenir écrivain.

Par la suite, l’œuvre de Dickens s’assombrit, suivant son parcours personnel, son divorce en 1858, la perte de son père, puis de l’une de ses sœurs, et de l’un de ses enfants, une petite fille de seulement 8 mois. Il publie Les Grandes Espérances (Great Expectations) en 1861, qui traite majoritairement des préoccupations intimes de l’auteur et suit l’itinéraire social et amoureux du jeune Pip, jusqu’à sa maturité et le désenchantement.

Charles Dickens donne tout, depuis toujours, il vit à fond, se démène, se surmène même et sa santé physique finit par en pâtir. Le 9 juin 1865, l'écrivain a un terrible accident de chemin de fer qui le diminue plus encore et il mourra cinq ans plus tard, le 9 juin 1870, à son domicile, d’une crise cardiaque.

Charles Dickens est inhumé à l’abbaye de Westminster, au Poets' Corner (le coin des poètes), avec les honneurs de toute la nation.

Un Chant de Noël
Scrooge n’a qu’un seul mot à la bouche, « sottise ! » et son cœur est glacial comme le vent rigoureux de l’hiver. Comme toutes les années depuis longtemps, Scrooge ne célébrera pas Noël, il demeurera éperdument seul après avoir fait le vide autour de lui des décennies durant. Toutefois, en cette nuit magique, trois fantômes lui rendront visite afin de sonder son âme grincheuse et austère.

"Par une heureuse, juste et noble compensation des choses d’ici-bas, si la maladie et le chagrin sont contagieux, il n’y a rien qui le soit plus irrésistiblement aussi que le rire et la bonne humeur."

On pourrait aujourd’hui se demander pourquoi les Anglais et le monde entier a eu et a encore aujourd’hui un tel engouement pour son œuvre phare, Un Chant de Noël.
Charles Dickens a-t-il vraiment réinventé Noël ? Il s’agit de resituer l'œuvre de Dickens dans son contexte socio-historique.

En Angleterre, lors de son accession au trône en 1558, Élisabeth Ière rétablit le protestantisme mais n’alla toutefois pas dans la direction radicale souhaitée et attendue par les fidèles. Ainsi, durant la seconde moitié du 16ème siècle et le début du 17ème siècle, le puritanisme, un courant religieux mené par les calvinistes, a tenté de réformer l’Eglise d’Angleterre du catholicisme.
Les calvinistes et partisans les plus radicaux du puritanisme se sont opposés à la monarchie anglaise et à l’Église anglicane officielle à qui l’on reprochait de ne pas suffisamment aller dans le sens de la Réforme Protestante et des idées de Martin Luther. Ces opposants se sont alors majoritairement exilés en Europe, notamment en Allemagne, et en Nouvelle Angleterre dans la baie du Massachusetts à partir de 1620 pour former les premières communautés de colons dans ce qui deviendrait plus tard les Etats-Unis d’Amérique.

De 1642 à 1651, sous le règne de Charles Ier, eut lieu la première révolution anglaise. Charles Ier fut exécuté, la monarchie abolie et une République, le Commonwealth d'Angleterre, fut instaurée, menée par Oliver Cromwell. Lui-même puritain, il favorisa de fait le puritanisme et en 1644 il bannit purement et simplement le jour de Noël jugé trop « papiste », ainsi que la tradition des cadeaux, Pâques et la Pentecôte... mais aussi le théâtre et l’alcool, etc… Les maires avaient la charge de faire respecter cette interdiction et les contrevenants s’exposaient à de très lourdes amendes.

Noël fut rétabli par Charles II en 1660 quand le gouvernement républicain tomba. Mais plus de 150 ans plus tard, force est de constater que de nombreuses traditions liées à Noël avaient été délaissées ou négligées. Il faudra attendre les années 1820 pour qu’une poignée d’auteurs, dont le parlementaire et homme de sciences Davies Gilbert, fassent ressurgir ces traditions oubliées (la dinde, les cadeaux…) d’avant la politique austère et rigoriste de Cromwell. La Reine Victoria et son époux le Prince Albert favorisèrent également le mouvement en instaurant en Angleterre la tradition allemande du sapin de Noël et en repopularisant les joyeux et chaleureux cantiques.

Un Chant de Noël de Charles Dickens s’inscrit non seulement dans ce mouvement mais en a été l’un des instigateurs, rendant aux anglais ce qui leur appartenait, glorifiant les joies de Noël, la danse et les chants, les repas festifs et conviviaux et par-dessus tout le sens du partage et l’esprit même de Noël, impalpable, indéfinissable et si précieux.

L’œuvre de Dickens est en intégralité un pamphlet social et s’interroge sur les aspirations des Hommes, leur besoin d’amour, leur volonté de réussite, la pauvreté et la richesse, la nostalgie de l’enfance, la filiation, l’amitié, la confiance, le partage…

Alors oui, Charles Dickens a bel et bien sauvé Noël et a promu la littérature de Noël a un rang majeur, métamorphosant un petit conte populaire en un véritable classique indémodable et éternel.

En savoir plus :
  • Gallica - Bibliothèque National de France
  • Wikisource
  • Alain Decaux raconte - Un Certains Charles Dickens
  • Podcasts de Radio France
  • Wikipedia
  • Charles Dickens Museum


  • Dans un registre plus léger, (re)voyez le film The Man who invented Christmas (2017) de Bharat Nalluri, avec Dan Stevens dans le rôle de Charles Dickens. Ce superbe film irlandais (co-produit avec le Canada) nous conte le "voyage" qui a conduit Charles Dickens à la création de A Christmas Carol. Certes, le film prend quelques libertés avec la réalité historique, mais l'approche reste fidèle à l'esprit de l'auteur britannique et The Man who invented Christmas s'avère plaisant, poétique et particulièrement enjoué, tant au niveau de la mise en scène enthousiaste et fulgurante, que du scénario et du jeu des acteurs. Une vraie pépite !



    Je reviendrai par ailleurs dans de futurs articles sur les adaptations cinématographiques et télévisuelles de A Christmas Carol.


    Crédit photos Wikimedia :
  • Le Rêve de Dickens, Robert W. Buss (1804-1875), inachevé
  • Charles Dickens, Jeremiah Gurney - Heritage Auction Gallery - New York, 1868
  • A Christmas Carol, première édition
  • The Cratchits' Christmas Dinner - The Children's Dickens: Stories selected from various tales (1909), Gilbert Scott Wright, London: Henry Frowde & Hodder & Stoughton


  • Citations :
  • De Grandes Espérances
  • Un Chant de Noël


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